Montées de « Shela’h Lekha »

Les explorateurs

1) Moïse, sur ordre de Dieu (« contraint » par la vox populi, comme le laisse entendre le lékha (« (envoie) pour toi »(1)), missionne douze explorateurs, un par tribu, chef de celle-ci, afin d’explorer la terre de Canaan promise par Dieu à Israël.

2) Après quarante jours d’exploration, ils reviennent faire leur rapport, avec, notamment, une grappe de raisin si grosse qu’ils la portaient à deux. Suite au rapport accablant qu’ils font devant tout le peuple, évoquant la puissance du peuple qui habite cette terre, Israël se décourage et se soulève contre Moïse et Aaron. Seuls deux des explorateurs, Caleb et Josué, qui n’ont pas pris part à la médisance de leurs collègues, tentent de rassurer le peuple,

3) sans succès. Leur argument est pourtant pertinent : La puissance de Dieu n’est-elle pas supérieure à celle des Cananéens ? Dieu propose à Moïse d’anéantir ce peuple et d’en reconstruire un autre à partir de lui, qui refuse et prie pour le pardon du peuple. Il obtient ce pardon, mais Dieu prête serment que ce peuple ne verra jamais la terre, à l’exception de Caleb.

4) Dieu condamne à une mort lente, durant quarante ans, un an par jour d’exploration, celle-ci ayant duré quarante jours, tout le peuple, après avoir tué les dix explorateurs médisants. Seuls leurs enfants entreront en terre promise. Le peuple, dans une démarche de repentir, s’obstine à partir conquérir la terre, malgré la tentative de dissuasion de Moïse. Ils sont écrasés par les Amalécites et les Cananéens. Législation des sacrifices « quand vous serez arrivés dans le pays de votre résidence… » (Nombres XV, 2). Ces lois sont à destination des descendants de la génération sortie d’Egypte qui s’éteindra dans le désert. Le Or Ha-h’aïm explique cependant, que la réalisation de la promesse faite aux parents se réalise à travers leurs enfants. C’est comme si les parents entraient en terre d’Israël lorsque leurs enfants y pénètrent.

5) Suite de la législation sur les sacrifices.

6) Lois de la H’alla : Commandement lié à l’entrée du peuple hébreu sur sa terre, de prélever un morceau de la pâte à pain, qui sera remis à un prêtre. Certains Sages justifient la présence de cette loi dans une Paracha où Israël est condamné à ne pas entrer en terre de Canaan, par le fait que les femmes ne prirent pas part au découragement suscité par les explorateurs, et qu’elles entrèrent donc en Israël où elles purent accomplir ce commandement pour lequel elles sont prioritaires. Législation des sacrifices offerts pour la commission d’une faute involontaire d’idolâtrie, par la collectivité (catégorie H’attat).

7) Sacrifice d’une personne ayant commise une faute d’idolâtrie involontairement. Prohibition du blasphème. Prononcé et application de la peine de lapidation sur la personne d’un homme ayant transgressé publiquement le Chabbat. La Paracha s’achève avec le commandement des tsitsith, comprenant un fil d’azur, à l’époque.

Haftara et Paracha, même idée :

Le Livre de Josué, dont est tirée notre Haftara, est le premier des quatre livres des « Premiers Prophètes », qui embrassent une période de six cents ans, allant de l’établissement des Hébreux en Israël (c’est le sujet même du livre de Josué) jusqu’à la captivité qui suivit la destruction du Premier Temple. Josué, successeur de Moïse, envoie deux explorateurs à Jéricho, ville fortifiée la plus puissante des Cananéens, afin de connaître l’état d’esprit des cananéens, informés de l’approche des Hébreux. Cette mission est un succès complet, contrairement à l’exploration de notre Paracha. Il faut dire que le risque de dissension à deux est plus mesuré qu’à douze, que cette mission était secrète et que l’objectif n’était pas motivé par une foi chancelante dans la promesse de Dieu, mais uniquement par la volonté de s’informer du moral de l’ennemi.

Etincelles de mémoire :

C’est justement la mémoire qui fit défaut aux explorateurs, qui médirent de la terre, juste après avoir assisté à la punition de Myriam pour la faute de médisance relatée à la fin de la Paracha précédente, Béhaa’lotkha. C’est ce que dit Rachi, dans son premier commentaire sur notre section, afin d’expliquer la juxtaposition de Chélah’ lékha à Béhaa’lotkha. L’histoire doit nous permettre d’en tirer des leçons si nous ne voulons pas nous exposer à reproduire les erreurs du passé et à revivre les conséquences désastreuses de ces erreurs.
La mémoire rituelle a conservé le commandement des tsitsith, contenu dans le troisième paragraphe que nous lisons tous les jours, matin et soir. Commandement qui doit nous rappeler tous les commandements, les tsitsith nous accompagnent lors des prières, avec le Talit gadol (grand vêtement), mais aussi toute la journée avec le Talit qatan (petit vêtement) porté sous nos vêtements.

Etincelles d’action :

« Moïse leur donna donc mission d’explorer le pays de Canaan, en leur disant : … Vous observerez l’aspect de ce pays et le peuple qui l’occupe : s’il est robuste ou faible… comment sont les villes où il demeure, des villes ouvertes ou des places fortes ; » (Nombres, 13, 17-19).
Commentaire de Rachi, citant le Midrach Tan’houma : « « s’il est robuste ou faible ». Il leur a fourni un indice : s’ils habitent dans des villes ouvertes, c’est qu’ils sont forts, car ils font confiance en leur robustesse. Et s’ils habitent dans des villes fortifiées, c’est qu’ils sont faibles. »
Léon Ashkenazi interprétait, quant à lui, les propos de Rachi, de la manière suivante :
Les extrémistes religieux, enfermés dans leurs « places fortes », comprenez leurs certitudes, sont paradoxalement ceux qui doutent le plus, les moins solides dans leurs convictions. D’où leur propension à les exprimer ostensiblement, afin de se convaincre de leur orthodoxie, pris dans son sens étymologique, c’est-à-dire, qui pense dans la bonne voie. Et à ce paradoxe s’en ajoute un autre : comme les explorateurs du temps de Moïse, nous les considérons, à tort, comme les plus forts, les serviteurs les plus purs du Très Haut. Nous envions parfois leur embrasement, alors qu’il traduit en réalité la crainte de ce qui fait la condition humaine, à savoir, le doute et le questionnement.
Leur crispation identitaire n’est que le stigmate de leur trouble identitaire, qu’ils projettent sur les « infidèles ».
Les individus qui vivent harmonieusement une existence « normale », faite d’incertitudes et de convictions acquises, n’éprouvent pas le besoin de les imposer aux autres. Ils évoluent dans des « villes ouvertes », dans lesquelles ceux qui pensent différemment ne sont pas perçus comme des menaces, mais au contraire comme incarnant des manières différentes d’être homme, pour reprendre une expression chère à Manitou, où la ghettoïsation des esprits n’a pas sa place. L’autre est ainsi celui qui n’est pas moi, et qui, de ce fait, m’enrichit de ce que je ne suis pas, et qui, dans le même temps, me permet, dans sa confrontation, de mieux cerner qui je suis réellement.

1 Dieu sait, parce qu’il est doté de la prescience, que cette expédition aura des conséquences catastrophiques, mais il laisse le libre arbitre à l’homme, et n’intervient pas, voire, lui donne son aval, comme c’est le cas en l’espèce.

2 La Torah ne comportant pas de voyelles, offre ainsi plusieurs lectures possibles d’un même mot. En l’occurrence, « il (le Cananéen) est plus puissant Mimenou » signifie « que nous (le peuple) » ou « que Lui (Dieu) », selon que l’on met ou pas un point d’accentuation (dagesh h’azaq) dans le noun de Mimenou.

Voir aussi :
Lectures de « Chela’h » (GRJO)
Quarante ans dans le désert
Les deux explorateurs de Jéricho

Envoyez un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.