Montées de « Behaalotekha »

La Menorah, l’Arche, les Lévites : marche des Enfants d’Israël dans le désert.

1) Aaron se voit confier la tâche d’allumer quotidiennement le candélabre à sept branches. Miracle des trois flammes de gauche et des trois flammes de droite, penchant vers la flamme de la branche centrale. Cérémonie de consécration des léviim. Deux curiosités : l’obligation pour ces derniers de se raser à la lame tous les poils du corps (1), alors que la Tora proscrit de se raser à la lame les poils de la barbe (voir Parachat Qédochim). Le balancement par Aaron de milliers (8500, très exactement (2)) de léviim, qu’il devait donc soulever et balancer l’un après l’autre. Superman n’a qu’à bien se tenir.

2) Suite de la cérémonie. Il est rappelé que les lévites ont pris la place des premiers-nés hébreux (3), et qu’ils sont au service des prêtres. Ils devaient également empêcher les enfants d’Israël de s’approcher trop près du sanctuaire, risquant de mourir. L’âge de la retraite des lévites est fixé à 50 ans. Ne le répétez pas aux syndicats, ça peut leur donner des idées.

3) Prescriptions relatives au sacrifice pascal pratiqué par les béné Israël dans le désert. Institution de Pessah’ shéni, « second Pessah’ », le mot Pessah’ désignant ici l’agneau pascal, sorte de « session de rattrapage » pour ceux qui n’avaient pas pu (4) sacrifier l’agneau le 14 Nissan. Ils le faisaient alors un mois plus tard, le 14 Iyar. En revanche, celui qui avait sciemment omis de sacrifier l’agneau pascal le 14 Nissan, était passible de la peine de retranchement.

4) Les hébreux campaient et levaient le camp sur les indications de la nuée qui les accompagnait dans le désert. Quand la nuée s’immobilisait, le peuple s’arrêtait à son tour et s’installait, puis lorsqu’elle s’élevait, Israël se préparait au départ (5). Confection de deux trompettes d’argent, pour des usages variés, tels qu’annoncer la levée du camp, convoquer l’assemblée ou pendant les guerres.

5) Description de l’ordre et de l’emplacement de chaque tribu lors des déplacements et des campements. Moïse demande de manière insistante à son beau-père, Yitro, de se joindre au peuple hébreu dans sa marche vers la terre promise. Ce dernier décline l’invitation. Les commentateurs s’interrogent sur cette attitude, qui contraste avec l’enthousiasme d’Yitro, qui est décrit dans la Paracha qui porte son nom, Parachat Yitro. Voir, notamment, Rachi. A ce jour, la plus belle explication que j’ai retenue, présente Yitro comme un candidat à la conversion de l’esprit mais non du cœur. En effet, des deux rites de conversion au judaïsme, l’immersion dans un Miqwé (« bassin rituel ») et la circoncision, Yitro veut bien du premier, symbolisant l’immersion dans l’eau de la Tora, du savoir juif, mais il redoute le second, le sang versé et la souffrance, qui renvoient au « dur bonheur d’être juif », pour reprendre la formule d’André Neher (1914-1988), de mémoire bénie. Pour le dire autrement, il est séduit par le savoir juif, mais pas par l’être juif au destin souvent tragique. Or, à un candidat à la conversion, outre l’indication de certaines lois, on lui fait observer qu’il s’expose à appartenir désormais à un peuple humilié, pourchassé et haï. Le retour d’Yitro chez les siens, signifierait son refus d’endosser la destinée d’Israël.

6) Passage énigmatique, faisant référence à l’Arche d’Alliance, et à la puissance qui lui est conférée par Dieu durant les batailles. L’un des volets d’Indiana Jones, s’inspire manifestement de ce texte. Révoltes du peuple : la première n’indique pas ses motifs. La seconde relève d’une nostalgie pour l’Egypte, où la nourriture était plus variée que la manne tombant dans le désert. Moïse dit à Dieu qu’il a atteint ses limites quant à la « gestion » d’un peuple trop exigeant. Dieu lui adjoint soixante dix anciens du peuple et promet de donner suite à la réclamation de viande par Israël, au-delà de leurs espérances. Deux des soixante dix anciens prophétisent dans le camp. Josué attend une réaction de condamnation de son maître Moché Rabbenou, qui, au lieu de cela, dit souhaiter que tout le peuple devienne un peuple de prophètes. Merveilleuse attitude du dirigeant qui ne se satisfait pas de son rôle d’intermédiaire entre Dieu et le peuple, préférant que tous les juifs deviennent des rabbins plutôt que de se contenter d’exiger de leur rabbin qu’il soit le plus juif de tous les juifs.

7) Miracle des cailles et courroux divin qui entraîne la mort de nombreux hébreux. Médisance de Miriam et d’Aaron au sujet de Moïse (mais alors pourquoi seule Miriam est-elle punie ?) qui a divorcé de Tsipora. Ils se sont interrogés sur les raisons de ce comportement, qui, s’il est lié au rang de prophète de Moïse, ne saurait se justifier, Aaron et Miriam étant eux-mêmes prophètes (et même bien avant Moïse, le plus jeune des trois) continuant d’avoir une vie conjugale 6. Dieu leur répond que le niveau de prophétie de Moïse, inégalé et inégalable, rend impossible toute comparaison avec eux. Apparaît ici la fameuse phrase : « Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur terre ». Miriam est alors frappée par la « lèpre », Moïse prie pour sa guérison, et le peuple attend qu’elle guérisse, pour décamper.

Le lien qui unit la Haftara à Béhaa’lotkha :

La vision prophétique du candélabre octroyée au prophète Zacharie, fait écho au candélabre, premier thème de notre section. Zacharie appartient aux Douze prophètes. Contemporain d’Aggée (H’agi, en hébreu), il prophétisa pour le royaume de Juda. On lui doit la mention des quatre jeûnes dits « publics », c’est-à-dire, concernant toute la nation juive : « Le jeûne du quatrième mois 7 (17 Tamouz) et le jeûne du cinquième (9 Av), le jeûne du septième (Tsom Guedaliya, le 3 Tichri) et le jeûne du dixième mois (10 Tévet) seront changés pour la maison de Juda en joie et en allégresse et en fêtes solennelles » (Zacharie VIII, 19).

Etincelles de mémoire :

– Le « mauvais œil » existe, je l’ai rencontré dans la fin de notre section, dans la bouche de Miriam. Celle-ci évoque la femme couchit, qu’avait épousée son frère, Moïse. Rachi et tous les exégètes s’interrogent au sujet de ce qualificatif. L’une des réponses de Rachi, à connotation raciste de nos jours, pourrait figurer dans une anthologie des textes de notre Tradition, qui attestent d’une croyance juive dans le « mauvais œil 8 » : « A cause de sa beauté on l’appelait ainsi, comme on appelle un bel enfant « couchi » (nègre) afin que le « mauvais œil » n’ait pas prise sur lui ». Cette notion demande cependant à être approfondie, si l’on ne veut pas sombrer dans le pire ennemi de la religion que constitue la superstition.

– Le candélabre à sept branches, dont il est question dans le début de notre section, est devenu l’emblème, moins célèbre que l’étoile de David, de l’Etat d’Israël, preuve du caractère juif de cet Etat.

– La prière pour la guérison des personnes souffrantes provient de la prière de Moïse pour sa sœur « lépreuse » : El na réfa na la : « Dieu, de grâce ! guéris-là, de grâce ! ». En présence de la personne malade, il n’est pas nécessaire de prier pour elle, nommément.

Etincelles de réflexion :

– Un très beau commentaire de Rachi, provenant de Berechit Rabba (Midrach sur Berechit), au verset 19, chapitre VIII : « Il est dit dans ce verset « les enfants d’Israël » à cinq reprises, pour faire connaitre l’amour de Dieu pour eux : dans un seul verset leur souvenir est rappelé cinq fois correspondant au nombre des cinq livres de la Torah ».

– « …ils eurent envie d’avoir envie… » (Nombres XI, 4). Cette formulation étrange signifie que certains hébreux en avaient assez de vivre une vie angélique, où la raison occupe toute la place, les passions désormais reléguées au dernier plan. Cela fait songer à la pression ressentie par ceux ou celles qui excellent dans leur domaine, les « meilleurs de la classe », qui, un jour, « craquent », réclamant un droit à la faiblesse et à la fragilité. Il est humain d’aspirer parfois à « se lâcher », comme on dit vulgairement, mais il faut alors en assumer les conséquences. Pour le peuple du désert, toute incartade était sévèrement réprimée par Dieu. On se représente difficilement leur condition, toujours exposé à l’immanence divine immédiate. Il faut donc prendre garde aux jugements hâtifs de condamnation d’une génération qui vécut tant de miracles et qui, pourtant, se rebella tant de fois.

1 Voir l’explication de Rachi à ce sujet.

2 Nombres IV, 48.

3 Les premiers-nés ont perdu ce privilège à cause de la faute du veau d’or. L’appartenance des aînés à Dieu, est due à la protection qu’Il leur a accordée en Egypte, en les épargnant de la mort des premiers-nés, à laquelle ils n’auraient pas dû échapper compte tenu de leur assimilation (Rachi sur Nombres VIII, 17). D’où le rachat du premier-né au Cohen, représentant de Dieu sur terre, et donc, « propriétaire » de tout premier-né qui vient au monde.

4 Parce qu’ils étaient impurs ou en voyage.

5 Voir le dernier péricope de Bémidbar, Mass’é, relatif aux quarante-deux voyages d’Israël dans le désert, durant les quarante ans qu’ils y passèrent.

6 Nous donnons ici l’interprétation majoritaire quant à l’objet de la critique de Miriam et d’Aaron, qui n’est pas explicite dans le texte biblique.

7 Le premier mois de l’année juive étant le mois de Nissan. Les noms des mois juifs n’existaient pas à l’époque de Zacharie, puisqu’ils sont apparus durant l’exil en Babylonie.

8 En hébreu, on dit ayin ra’a, plutôt que ayin hara, expression du langage populaire. Le ayin ra’a désigne la jalousie de ce que l’autre possède.

Voir aussi
Lectures de « Behaalotekha » (GRJO)

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