Les yeux d’Isaac

Extrait de l’intervention de Delphine Horvilleur aux obsèques de Marceline Loridan-Ivens, le 21 septembre 2018, au cimetière Montparnasse à Paris :

<< (...) Un soir, à Jérusalem, [Marceline] a soudain perdu la vue. Quand elle m’a raconté cela, nous avons passé un long moment toutes les deux à parler de la Bible. Je sais, c’est un peu étrange. Je lui ai raconté qu’Isaac, le fils d’Abraham, cet enfant qui fut un jour lié sur un autel et presque sacrifié, a, à la fin de sa vie, perdu la vue. Et le verset qui raconte cela dans la Torah le décrit de façon très étrange. Il est écrit : VETIK’EINA ENAV MI-R’OT « Les yeux d’Isaac s’obscurcirent d’avoir vu ».
Il n’est pas écrit qu’Isaac cessa de voir mais que son regard s’obscurcit « d’avoir vu ». Mais d’avoir vu quoi, demandent les rabbins ?
Réponse des Sages : d’avoir vu, bien plus tôt dans sa vie, quelque chose qu’il n’aurait jamais dû voir. D’avoir survécu à la catastrophe, et à l’anéantissement. Isaac, dans la Torah, c’est la figure du survivant par excellence, celui qui a vu l’irreprésentable, l’irracontable et dont le regard et le cœur sont à jamais différents.
Avec ses yeux obscurcis et avec son cœur brisé, Marceline a non seulement su vivre, mais elle a su voir, montrer, filmer, raconter et aimer. Et sur ce chemin brisé, elle nous a guidé comme personne. (…) >>

Le verset cité est Genèse 27,1, et les 3 mots cités sont
וַתִּכְהֶיןָ עֵינָיו מֵרְאֹת
WTKHYN ŒYNYW MRAT
Vatikhèyna ‘Eynayw Méreot
Et-pâlirent ses-yeux de-la-vue

Commentaire de Rachi, cité sur Sefarim :
Au moment où Isaac avait été lié sur l’autel et où son père était sur le point de l’immoler, au même instant, les cieux s’étaient ouverts et les anges servants avaient vu cela et avaient pleuré. Leurs larmes avaient coulé et étaient tombées dans ses yeux. Voilà pourquoi ses yeux s’étaient affaiblis (Beréchith raba 65, 6)

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