Droit d’Israël et droit israélien

« Vé-élé ha-Mishpatim… » Le « Vav » par lequel commence la Parasha Mishpatim renferme un des problèmes les plus cruciaux qui divise la société israélienne aujourd’hui : celui du fondement du droit et par là même, du caractère – juif ou occidental – du système juridique israélien.


Exode 21, 1 :
וְאֵלֶּה הַמִּשְׁפָּטִים אֲשֶׁר תָּשִׂים לִפְנֵיהֶם׃
WALH HMSFtYM ASR TSYM LFNYHM
Vééléh haMichpatim Achère Tissim Lifnéyhem
Et-voici les lois que tu placeras devant eux

Commentant ces mots qui introduisent la parashat Mishpatim, Rachi explique en effet que ce Vav implique un ajout à ce qui précède, ce dont il déduit que le droit civil, tout comme les Dix Commandements lus précédemment, a été proclamé au Sinaï. « Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhédrin près du Sanctuaire… »

Ce qui veut dire, en d’autres termes, que le droit positif est d’origine transcendante, tout comme la morale, et que la Cour suprême d’Israël devrait siéger près du Temple reconstruit. Programme révolutionnaire! Encore faudrait-il qu’elle applique le droit d’Israël, et pas le « Droit israélien »… C’est l’objet de ces réflexions. (…)

Et si le droit hébraïque devenait le droit de l’Etat d’Israël ?

Quelles seraient les conséquences de l’adoption du droit hébraïque comme droit positif de l’Etat d’Israël ? Cela nécessiterait évidemment un travail considérable de création juridique et de mise à jour de dispositions anciennes, pas toujours adaptées aux réalités économiques et sociales actuelles. Un tel travail est déjà entrepris par plusieurs associations, qui œuvrent dans ce domaine en Israël. (*)

Au-delà des conséquences pratiques, découlant de modifications du droit existant dans plusieurs domaines importants, un tel bouleversement aurait surtout une importance symbolique : il signifierait que l’Etat d’Israël n’est pas un Etat purement occidental, ayant pour ambition de devenir la « Suisse » (ou le Hong Kong) du Moyen-Orient, mais bien un Etat juif, héritier et continuateur d’une tradition bimillénaire, dont le droit constitue un des aspects essentiels.

Une telle perspective fait peur à de nombreux Israéliens, qui considèrent le droit juif comme anachronique. Cette image négative doit beaucoup, il faut le reconnaître, à la situation qui règne aujourd’hui au sein des tribunaux rabbiniques, censés appliquer le droit juif en matière matrimoniale. Le Beth-Din souffre en effet de problèmes graves, qui sont souvent les mêmes que ceux qui affectent les tribunaux civils : bureaucratie, lenteur et inefficacité des procédures. Mais cela est d’autant plus grave lorsque les juges prétendent appliquer une loi qui n’est pas celle édictée par la Knesset, mais celle que D.ieu a dictée à Moïse sur le Mont Sinaï !

Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que le droit hébraïque remplace un jour le système juridique actuel. Mais il faut se souvenir du temps où Herzl, fondateur du sionisme politique, préconisait comme langue officielle du futur Etat juif… l’allemand! (Il changea d’avis par la suite). Les références de la Cour suprême d’Israël à la jurisprudence des tribunaux canadiens ou européens paraîtront peut-être un jour aussi saugrenues que nous paraît aujourd’hui l’idée d’un Etat juif parlant allemand. Comme disait Herzl, « si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve! »

(*) Hamishpat Haivri, Magnes, Jérusalem. Cet ouvrage de référence a été traduit en anglais (Jewish Law, Philadelphie 1994) mais pas en français.

POUR EN SAVOIR PLUS

Le lecteur francophone intéressé par le droit hébraïque pourra lire avec profit le livre de Georges Hansel, Explorations talmudiques (Odile Jacob 1998) ainsi que celui d’Abraham Weingort, Leçons de droit hébraïque, éditions Etz Haim 2000.

Texte complet sur le blog de Itshak P. Lurçat « Vu de Jérusalem » à la date du 20 février 2009.

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