Deux mots sur sept…

Dans le premier verset de la Genèse, les mots « ciel » et « terre » sont chacun précédés par une particule, אֵת, « ète », qui introduit le complément d’objet direct. Ces deux mots disparaissent de toutes les traductions dans les langues occidentales ; deux mots sur les sept que compte ce verset disparaissent de l’univers mental du lecteur.

בְּרֵאשִׁית בָּרָא אֱלֹהִים אֵת הַשָּׁמַיִם וְאֵת הָאָרֶץ׃
BRASYT BRA ALHYM AT HSMYM WAT HARZ
Beréshyt Bara Elohym Ète haShamaym veÈte haArets

Pour les Sofrim, les maîtres rédacteurs de ce texte, pour qui chaque lettre est un monde, cela pose une question d’une réelle importance. Le verset perd cinq lettres sur vingt-huit, ce qui constitue presque un cinquième de sa matière ! Je ne connais aucun traducteur qui ait tenté de restituer ce אֵת, « èt ». Et pourtant le dictionnaire nous apprend que le mot אֵת, « èt », signifie la « bèche ». Ne serait-ce pas une façon de dire que ces signes que sont les lettres de l’alphabet (אותיות, otyot, pluriel de אות, ot, la lettre et le signe qui s’écrit comme le mot « èt ») permettent de tourner et retourner la terre, de préparer la terre de l’esprit pour que celui-ci soit prêt à recevoir, faire grandir le sens, accueillir aussi de nouvelles moissons de sens, de nouveaux fruits. Ne faudrait-il pas, dès lors, risquer une nouvelle traduction :
« Au commencement Elohim créa l’alphabet du ciel et l’alphabet de la terre  » ?

Marc-Alain Ouaknin, dans Information Juive, octobre 2008, p. 29

2 réponses à “Deux mots sur sept…”

  1. hkabla dit:

    Excellent. Si l’on considère aussi que Aleph et Tav représentent la première et la dernière lettre de l’alphabet hébreu, on pourrait risquer une autre traduction:

    “Au commencement Elohim créa le ciel et la terre de A a Z ”

  2. mllevy dit:

    Bravo, Hervé Kabla ! C’est exactement ce que rappelle Rabbi Aqiba dans le Midrash Rabba sur Genèse 1, 1 : « Le AT des cieux est écrit pour inclure le soleil, la lune et les étoiles, le AT de la terre pour inclure les arbres, les herbes et le jardin d’Eden ». (Cité par Bernard Barc « Les arpenteurs du temps- Essai sur l’histoire religieuse de la Judée à la période hellénistique » Éditions du Zèbre, Lausanne, 2000, p. 41).

Envoyez un commentaire

Vous devez être connecté pour publier un commentaire.