Le blog de Voltaire

Dans le Dictionnaire philosophique, Voltaire écrivait ce qui lui passait par la tête, sans trop s’astreindre à des vérifications d’érudit.

Il y figure ainsi un article intitulé “Elie et Enoch“, dans lequel Voltaire assimile le Prophète « Élie » à « Hélios », puis en vient à attribuer à un « écrivain ingénieux et profond » qu’il est censé persifler l’idée
Qu’Énoch, Anach, Annoch, signifiait l’année;
Que les Orientaux le pleuraient ainsi qu’Adonis, et qu’ils se réjouissaient au commencement de l’année nouvelle ;
Que le Janus connu ensuite en Italie était l’ancien Anach, ou Annoch, de l’Asie ;
Que non seulement Énoch signifiait autrefois chez tous ces peuples le commencement et la fin de l’an, mais le dernier jour de la semaine ;
Que les noms d’Anne, de Jean, de Januarius, Janvier, ne sont venus que de cette source.

La Bible dit très peu de choses d’Énoch, que nous écrivons Hénoch, mais ce qu’elle en dit est d’une prodigieuse fécondité.
Genèse 5, 23-24 :
Et c’est tous les jours de Hénoch (חֲנוֹךְ, ENWK), trois cent soixante-cinq ans. Hénoch va avec l’Elohim puis il n’est plus: oui, Elohim l’a pris.

Des dix Patriarches, d’Adam à Noé, énumérés en Genèse 5, Hénoch est le septième : il est le seul à ne pas mourir, il disparaît à 365 ans, premier « enlevé au ciel » jusqu’au Prophète Élie (2Rois 2, 11). Dans la littérature « intertestamentaire » – que n’étudient ni les Juifs, ni les Chrétiens, ni l’Université, tout un cycle est placé sous le patronage d’Hénoch. Il comprend notamment les livres d’Hénoch et des Jubilés, largement consacrés à des considérations astronomiques et calendaires. Dans le livre des Jubilés, qui prétend dater les événements bibliques, le patriarche Hénoch est désigné comme « le premier des humains nés sur la terre à apprendre l’écriture, la sagesse et la science, et à écrire dans un livre les signes du ciel suivant l’ordre des mois, afin que les humains connaissent les saisons, en leur ordre, mois par mois » (1).

Hénoch est donc tout désigné pour être l’équivalent biblique du dieu Chronos, maître des secrets du Temps. Or Chronos, Χρόνος, fut souvent confondu avec Cronos, Κρόνος, père de Zeus mais qui dévore ses autres enfants, et ce dernier fut assimilé à Saturne. Si on ajoute que les « Saturnales » romaines avaient lieu juste avant le solstice d’hiver, « commencement et fin de l’an », et que le jour de Saturne (le dieu, pas forcément la planète) Saturday, Saturni dies en latin, ἡμέρα Κρόνου, hêméra Krónou en grec, est bien le « dernier jour de la semaine », on se demande s’il n’y a pas là une piste qui expliquerait les élucubrations de Voltaire.

Quant à la racine חנכ, ENK, elle se retrouve dans le nom de la fête de ENWKH, Hanoukah, fête de la (ré-)inauguration du Temple, liée à la révolte et aux livres des Macchabées. Les Bibles chrétiennes parlent plus volontiers de « Dédicace » (2). Le sens de חנכ, ENK s’est ensuite étendu à celui d’« inaugurer un enseignement », « initier », « enseigner ».

(1) Jubilés, IV, 17. La Bible. Écrits intertestamentaires, sous la direction d’André Dupont-Sommer et Marc Philonenko, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1987, p 655.
(2) La cérémonie de dédicace d’une église à son saint patron s’est perpétuée sous le nom de cérémonie des « encénies », sur la même racine ENK que ‘Hanouka.

Voir aussi
Hénoch, l’Inaugurateur
Les encénies
Le regard et la grâce

8 réponses à “Le blog de Voltaire”

  1. mllevy dit:

    En hébreu dans le Texte.
    Sommaire

    Voir aussi :
    Translittération
    Le Précepteur. Comment Moïse entreprit la Bible (Bookelis)

  2. mllevy dit:

    Tacite est d’un autre avis :

    Si (les Juifs) consacrent le septième jour au repos, c’est, dit-on, parce qu’il termina leurs misères ; séduits par l’attrait de la paresse, ils finirent par y donner aussi la septième année. Suivant d’autres, cet usage fut établi pour honorer Saturne, soit qu’ils aient reçu les principes de la religion de ces Idéens qu’on nous montre chassés avec Saturne et fondant la nation des Juifs, soit parce que, des sept astres qui règlent la destinée des mortels, celui dont l’orbe est le plus élevé et la puissance la plus énergique est l’étoile de Saturne, et que la plupart des corps célestes exercent leur action et achèvent leur course par nombres septénaires.

  3. mllevy dit:

    Felix Asher Perez (par Messenger/ Facebook)

    Avec des mots hébreux à 3 racines, on peut raconter bien des choses…
    Désolé là je n’accroche pas du tout avec votre dérivé de ‘HaNouKa »
    Ce mot existe déjà dans la Bible comme inauguration , bien avant Hanouka et sans rapport avec Henoch. Par exemple, dans Psaume 30, « Mizmor chir ‘HANOUKAT habayit le David ». Aussi explicitement dans ce sens dans Nehemie 12, 27 sur l’inauguration du mur de Jérusalem.
    2 autres sens hébreux avec ces 3 lettres en racines : éduquer et s’éduquer (s’éduquer c’est bien apprendre quelque chose pour la première fois analogue à une inauguration !).

  4. mllevy dit:

    Je ne crois pas avoir dit autre chose. Le Livre des Jubilés fait bien d’Hénoch un initiateur, un enseignant.
    Les élucubrations de Voltaire ont au moins le mérite d’obliger à fouiller l’hébreu.

  5. mllevy dit:

    Felix Asher Perez (sur Facebook)

    Aucun commentateur sérieux ne fait de lien avec Henoch. Avec des racines à 3 lettres, tant de coincidences gratuites existent. Il existe même des spécialistes de ce genre de dérivés farfelus…

  6. mllevy dit:

    C’est bien ce que je dis : “ni juif, ni chrétien, ni universitaire…”

  7. mllevy dit:

    Voir aussi Dion Cassius, Histoire romaine, Tome 3, Livre 37

    16. Reçu par les partisans d’Hyrcan, (Pompée) fut aisément maître de (Jérusalem) même ; mais la prise du Temple, dont le parti contraire s’était emparé, lui coûta beaucoup d’efforts. Il était situé sur une hauteur et entouré de remparts qui le rendaient plus fort. Si ceux qui l’occupaient l’avaient défendu tous les jours avec la même vigilance, Pompée n’aurait pu le prendre ; mais ils suspendaient le combat pendant les jours qui portent le nom de Saturne ; parce qui ils ne font rien ces jours-là. Cette interruption fournit aux assaillants le moyen d’ébranler les remparts. Les Romains, ayant remarqué l’usage dont je viens de parler, ne poussaient point sérieusement l’attaque pendant le reste de la semaine ; mais lorsque arrivaient périodiquement les jours de Saturne, ils donnaient l’assaut de toutes leurs forces. Ainsi le temple tomba au pouvoir des Romains, le jour dédié à Saturne, sans que ses défenseurs fissent aucune résistance. Tous ses trésors furent pillés, le pouvoir suprême fut donné à Hyrcan et Aristobule emmené en captivité. Tels sont les événements qui se passèrent alors en Palestine : c’est l’ancien nom de la contrée qui s’étend depuis la Phénicie jusqu’à l’Égypte, le long de la mer intérieure ; mais elle en prend aussi un autre. Elle se nomme Judée et les habitants s’appellent Juifs.

    17. ( …) Jamais il n’y eut aucune statue à Jérusalem : ils regardent ce dieu comme un être ineffable, invisible, et ils célèbrent son culte avec un zèle qu’on ne trouve point chez les autres hommes. Ils lui ont érigé un temple très vaste et très beau, mais qui n’est ni fermé ni couvert. De plus, ils lui ont consacré le jour de Saturne : ce jour-là ils se livrent à de nombreuses pratiques qui ne sont usitées que chez eux, et ils s’abstiennent de tout travail sérieux. Quant aux détails sur ce dieu, sur ce qu’il est, sur l’origine des honneurs qui lui sont rendus, sur la crainte religieuse qu’il inspire à ce peuple, ils ont été donnés par plusieurs écrivains et ne soit point du domaine de cette histoire.

    18. L’usage de déterminer l’ordre des jours d’après les sept astres qu’on appelle planètes vient des Égyptiens (…) Si, rapportant à ces astres, doit dépend toute la magnifique ordonnance des cieux, l’harmonie fondée sur l’intervalle de la quarte et qui est regardée comme tenant la première place dans la musique, on suit l’ordre dans lequel chacun accomplit sa révolution ; si, commençant par le cercle le plus éloigné du centre et qui est consacré à Saturne (…) on trouvera entre l’ordre des jours et celui des cieux un rapport fondé sur la musique.

    19. Tel est, dit-on, le premier système. Voici le second : comptez les heures du jour et celles de la nuit, en commençant par la première. Attribuez cette première heure à Saturne, la suivante à Jupiter, la troisième à Mars la quatrième au Soleil, la cinquième à Vénus, la sixième à Mercure, la septième à la Lune, en suivant l’ordre des cercles fixé par les Égyptiens. Faites plusieurs fois cette opération : lorsque vous aurez parcouru les vingt-quatre heures, d’après la même marche, vous trouverez que la première heure du jour suivant échoit au Soleil. Opérez de la même manière sur les vingt-quatre heures de ce jour, et la première heure du troisième jour reviendra à la Lune. Si vous appliquez ce procédé aux autres jours, chaque jour sera donné au dieu auquel il appartient. Voilà ce qu’on rapporte à ce sujet.

  8. mllevy dit:

    Pour tenir compte des objections de Félix Asher Perez, j’ai remplacé dans le texte la mention de « chaînon manquant » par celle de simple « piste pour expliquer les élucubrations de Voltaire ».

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